Valérie a été condamné à 400€ d’amende (contre 200 en première instance) + 600€ de dommages-intérêts par policier (300 en première instance). Pour en savoir plus sur cette affaire, reportez-vous à l'émission Envoyé spécial du 10 septembre 2009, au cours de laquelle l'un des trois policiers l'ayant poursuivie avoue devant les caméras de France 2 qu'il en est à son 30e plainte pour outrage!
J'ai écouté l'émission Le téléphone sonne sur l'outrage sur France Inter et je voudrais apporter mon témoignage, même si je suis poursuivie pour rébellion. J’ai été jugée le 4 février 2008. Je vous contacte parce qu'il me semble important de vous apporter un témoignage supplémentaire. Je dois également vous dire que j'ai mis longtemps à ne plus être honteuse et coupable de ce qui m'était arrivé. Ma famille n'est d'ailleurs pas au courant de cette histoire. Et puis il y a le sentiment de ne rien pouvoir faire et de ne pas savoir que faire, d'être seule et aspirée. Puis, en parlant à des proches, après avoir retrouvé mes témoins et avoir entendu d'autres histoires comme la mienne, je me suis rendue compte que je n'étais pas si coupable et que je ne devais pas avoir honte. Mais ce sentiment persiste. La pensée de me retrouver à nouveau devant un tribunal me terrorise, même si la juge qui m'a écoutée le 4 février m’a en quelque sorte "entendue". Cette culpabilité, c'est vraiment le sentiment que j'ai eu face à ces policiers. Ils m'ont dit que j'étais bonne à interner, mais j'ai vraiment ressenti que le problème venait d'eux. Surtout un des policiers qui éprouvait apparemment une certaine "jouissance" à me faire mal et à me voir pleurer.
Décembre 2004, rue de la République, Lyon. Je rentre chez moi à vélo, venant d'acheter des produits surgelés, après avoir vu un SDF à l'agonie sur la route. Tout à coup, une voiture arrivant à vive allure sur une voie réservée aux transports en commun pile dans un crissement de pneus. Surprise, comme d'autres passants, je m'arrête pour voir ce qui se passe. Deux hommes sortent et mettent leur badge "police". Ils semblent énervés et arrêtent des jeunes en scooter sur la voie perpendiculaire en stoppant la circulation. A une dizaine de mètres de la scène, j'observe avec d'autres passants ce contrôle spectaculaire et très peu courtois. "Toi , tu dégages…" et autres propos déplacés. Les jeunes sont en règle, ils repartent. Les deux policiers se rapprochent de leur voiture à 3 ou 4 mètres de moi. Spontanément je dis "bravo", sans intention de créer un conflit. Les deux policiers montent dans leur voiture, font marche arrière, un d'eux ouvre sa fenêtre. "Vous avez un problème, mademoiselle!"
Un peu surprise et déstabilisée par leur ton accusateur, je leur réponds: "Non pas du tout, je suis dans un espace public et comme dans toute cité, j'ai le droit de m'y exprimer." Le policier me répond: "Mademoiselle veut jouer la maligne." Ils sortent de leur voiture et me demandent mes papiers. Je ne me sens pas bien du tout, je suis paniquée par leur carrure, leur ton de voix et une sensation étrange de pression. Je cherche mes papiers en tremblant, mais je ne les ai pas. "Bon, eh bien, vous allez venir au commissariat." Avec un sourire amusé.
"Non je n'ai rien fait, j'habite à côté, je viens d'acheter des surgelés, ils vont être foutus, j'ai autre chose à faire, je ne veux pas y aller... Vous n'avez pas autre chose à faire?Il y a quelqu'un [le SDF] en train de mourir sur la voie public… Vous feriez mieux de vous en occuper."
Ils insistent, je suis très mal à l'aise car je n'avais aucune intention d'entrer en conflit. J'ai réagi à l'arrestation spontanément par un "bravo" car elle ne me semblait pas très correcte vis-à-vis des jeunes arrêtés. C’est sorti comme ça. Je précise que je suis enseignante en lycée professionnel en ZEP et que le "respect" est un sujet très sensible pour les jeunes de banlieue avec lesquels je travaille. D'autres passants pensaient la même chose, nous en parlions. J'enfourche mon vélo sans réfléchir car ces deux hommes me font réellement peur… Je suis suivie par une voiture qui me barre la route. Les deux policiers sortent, immobilisent mon vélo, me demandent de les suivre. Je leur réponds que je n'ai rien fait, je ne vois pas pourquoi je devrais aller au commissariat. L’un d’eux me prend le bras, me le tord en me faisant très mal. Je crie "au secours, on veut m'emmener mais je n'ai rien fait". Le policier me jette par terre et tire sur mon bras. Je hurle et pleure. "Au secours, au secours… Aidez moi… Je n'ai rien fait." Je suis en état de panique, je pleure, on me met des menottes, j’ai la figure contre le sol, le bras complètement tordu, je demande qu'on me lâche, je hurle que je n'ai rien fait et que j'ai mal. Je me débats, je pleure, je ne vois plus grand-chose mais je sens qu'il y a des passants autour de moi. J'entends une voix douce que je connais et qui me nomme. C’est une personne qui suit une formation avec moi. Elle me rassure, me dit que tout va bien se passer, qu'elle s'occupe de mon sac de surgelés.
Je suis jetée dans la voiture des deux policiers avec violence. Je pleure et je demande au policier qui me maintient menottée de me lâcher car il me fait très mal. Il tord la menotte encore plus. "Ah tu veux jouer la maligne, je vais te dresser, moi!" Pendant tout le trajet je pleure, je suis en état de choc. Le policier ne cesse de me faire mal avec les menottes. Avant de sortir de la voiture, je demande mes lunettes, et ce que va devenir mon vélo. On me répond: "C’est pas notre problème, il fallait y penser avant, ça t'apprendra à te taire."
Je suis emmenée au commissariat. Je pleure, on me conduit dans un couloir sans public. On me met sur une chaise, je glisse car j'ai un sac à dos assez lourd qui pend entre les deux menottes et je glisse à genoux. Je m'effondre et pleure toujours. Une femme passe et me dit très brutalement de me taire. Les deux policiers qui m'ont arrêtée repassent à ce moment, rient et disent. "Elle est vraiment folle, celle-là. Regarde, elle bave, ah... Regarde, elle a même de l'herpès! Faut la faire enfermer en hôpital psychiatrique." Il semble que je les amuse.
Au bout d'un moment on me conduit devant une personne plus calme. Presque aussitôt, les policiers surgissent, énervés, sortent un papier avec les injures que j'aurais soi-disant proférées, "connard" et autre injures que je n'ai pas du tout tenues, et que je nie. Le policier qui prend ma déposition me demande ce qui s'est passé, tout en orientant la conversation. Je suis épuisée, je raconte ce qui s'est passé en ne pensant qu'à une chose: rentrer chez moi. On me demande de signer, je n'ai pas mes lunettes, je signe et m'en vais en tremblant… En descendant les escaliers vers l'accueil, je retrouve la personne que je connaissais et qui m'avait rassurée dans la rue, elle est accompagnée de trois autres personnes. Je leur dis que j'ai très mal. Ils m'expliquent ce qui s'est passé. Un car de CRS est arrivé sur les lieux de mon arrestation, ils ont menacé de gazer toutes les personnes qui demandaient qu'on me lâche. Il m'explique qu'ils sont venus au commissariat car, inquiets pour moi, ils n'ont cessé de demander de mes nouvelles à l'accueil du commissariat. Ces personnes m'accompagnent jusque chez moi, je suis vraiment mal et épuisée. L'un d'eux me conseille de téléphoner à un avocat et de porter plainte. Devant chez moi, ils me donnent un papier avec leurs coordonnées, au cas où.
Le lendemain, mon bras est bleu, j'ai très mal au dos, à la tête et à l'omoplate. Je décide d'aller faire constater cela par un médecin. Je fais même prendre une photo de mon bras. J'appelle l'avocate conseillée la veille. Je lui explique ce qui s'est passé. Elle me dit que je peux porter plainte mais que les procédures sont lentes et lourdes. Elle me conseille d'écrire ce qui s'est passé et d'attendre. Quinze jours après, je déménage, je suis submergée par le concours que je prépare pour le mois de février, par mon travail à plein temps sur deux établissements en dehors de Lyon. Et puis, je n'ai pas du tout envie de me rendre à nouveau dans un commissariat après ce qui s'est passé. Je mets donc cette histoire de côté.
Mai 2007. Je reçois une lettre d'huissier me demandant la somme de 1537 euros. Je ne comprends pas et appelle de suite. On me répond de me déplacer. J'apprends alors que je suis condamnée à deux mois de prison avec sursis et 1537 euro de dommages et intérêts. Je ne comprends rien mais me remémore cette histoire. J'appelle de suite l'avocate que j'avais contactée deux ans et demi avant. Elle accepte de me recevoir. Je lui explique les faits et m'étonne d'avoir été jugée sans être prévenue. Nous essayons ensemble de comprendre.
En effet j'ai déménagé entre-temps. L'avocate m'explique que l'on doit prouver que je n'étais pas informée du jugement afin de faire opposition et non appel (elle m'explique que l'appel est très difficile à Lyon.) Après bien des difficultés, nous parvenons à faire accepter cette opposition.
Je suis convoquée le 4 février 2008 pour être rejugée. L'opposition fait polémique mais la juge décide de me juger puisque je suis là et afin d'en finir avec cette histoire. Je suis très émue et impressionnée par tout cela, je ne peux m’empêcher de pleurer, je ne comprends toujours pas ce que je fais là, cela me dépasse. Mes témoins (j'avais pu en retrouver trois) sont appelés à la barre et mon avocat me défend.
Quelques semaines plus tard j'apprends que je suis relaxée mais une semaine après une lettre m'annonce que la partie civile et le Parquet font appel. A ce jour, j'attends ce nouveau procès avec beaucoup d'inquiétude car la Cour d’appel de Lyon est connue pour être "dure". Je précise que la déposition des policiers montre certaines incohérences ou mensonges. Par exemple:
* Je serais intervenue dans leur arrestation, ce qui est totalement faux puisque j'étais sur le trottoir à au moins 10 mètres et j'échangeais avec une dame sur la manière de faire.
* J'aurais tenu des propos sur la République (injustices, pays pourri, etc). C'est faux.
* J’aurais été emmenée au commissariat dans un fourgon. Pourtant mes trois témoins disent bien m'avoir vue être jetée dans la voiture des policiers. Je suis également certaine de ce que m'a dit le policier dans cette voiture, et je me souviens bien de son acharnement à me faire mal. Aucun des moments où je suis seule, malmenée et humiliée n'apparaît dans leur déposition. Mais il n'y a que moi pour en témoigner.
* Trois policiers portent plainte et demandent des dommages et intérêts pour rébellion alors que je n'ai eu affaire qu'à deux policiers. Le troisième restait dans la voiture lors de nos échanges. J'aurais également griffé un des policiers qui a fait constater sa blessure par un médecin (quelques millimètres) alors que je suis face contre sol, avec un policier le genou sur mon dos et les bras menottés.
De plus l'ordre de paiement des dommages et intérets réclamés par huissier découle de la demande d'un des policiers avant même que la peine soit enregistrée par le tribunal. J'ai appris en faisant opposition auprès de la greffière que ce policier n'avait pas à demander la somme avant que je sois informée de la peine par le tribunal. Pourquoi cet empressement?
Je suis encore choquée par cette arrestation qui a pris une dimension que je ne comprends toujours pas. Je suis accusée de rebellion. En effet, je n'ai pas suivi les policiers au commissariat car je n'avais pas commis de délit et ils me faisaient peur. J'ai ensuite appelé les passants en criant "au secours, aidez-moi." Que dois-je me repprocher? D'avoir réagi spontanément devant une arrestation qui me semblait non respectueuse? D'avoir eu peur de policiers trop près de moi et impressionnants, d'être complètement paniquée par les menottes et la violence de mon arrestation?
J'ai le sentiment que ces policiers se sont défoulés et amusés avec moi. Ils ont abusé de leur pouvoir. Je me sens totalement démunie. La police est assermentée et sa parole compte plus que la mienne, même s’ils mentent. Alors que faire?