Taha Bouhafs, journaliste de Là-bas si j’y suis, comparaissait vendredi 7 janvier devant le tribunal de Créteil (Val-de-Marne) pour « outrage et rébellion ». Il est accusé d’avoir traité un agent de la BAC de «racaille de flic» alors qu’il couvrait une manifestation de travailleurs sans-papiers à Alfortville, le 11 juin 2019. L’affaire avait déjà été renvoyée à deux reprises, notamment pour attendre les conclusions de l’enquête de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), saisie par le journaliste, qui a lui-même porté plainte contre le policier pour «violences» : il l’accuse de l’avoir frappé et plaqué au sol lors de son interpellation. Il s’était vu prescrire 10 jours d’interruption totale de travail (ITT) suite à une épaule déboîtée.
Le procès a été reporté car l’avocat de la défense, Arié Alimi, a déposé à l’audience une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour interroger la loi et la procédure pénale dans cette affaire. Son postulat : même si les policiers et les personnes qui les mettent en cause sont théoriquement égaux dans la loi, dans les faits, ils sont traités différemment devant la justice. Cette rupture d'égalité constitue la deuxième des treize raisons invoquées par le CODEDO pour demander la dépénalisation du délit d'outrage.
Selon Arié Alimi, qui fait partie des avocats ayant signé notre appel pour en finir avec le délit d'outrage, publié le 4 septembre 2020 dans Libération, cette inégalité de traitement est structurelle et découle de la double fonction qu’exerce le procureur de la République : « Il est à la fois celui qui supervise les fonctionnaires de police – leur employeur organique – et celui qui reçoit leurs plaintes pour outrage et rébellion et qui décide de poursuivre l’affaire devant un tribunal ». Le procureur, de son côté, s’est défendu de tout «péché originel» dans la fonction du ministère public, dont «l’essence même est la recherche de la vérité et non de soutenir l’accusation».
Pour Arié Alimi, cette rupture d’égalité trouverait son illustration dans la procédure dont l’affaire en discussion a fait l’objet : « Le procureur a eu connaissance de violences graves sur Taha Bouhafs au cours de son interpellation mais n’a engagé aucune poursuite contre les policiers », insiste l’avocat. Qui dénonce l’absence d’audition des témoins sur place, l’absence d’exploitation des images de vidéosurveillance des lieux ou du commissariat, que «la police a refusé de transmettre», argue-t-il. Le téléphone portable de Taha Bouhafs a également été mis sous scellé pendant huit mois. La vidéo qu’il contenait, partagée sur les réseaux sociaux en juillet 2020, montre le journaliste pris à partie par un policier en civil qui l’oblige à reculer. Le ton monte : « Vous vous croyez au-dessus de la loi ?, lance Taha Bouhafs. Vous jouez les racailles, c’est ça ? » « C’est ça ce que tu dis, que je suis une racaille ? […] Fais attention à ce que tu fais », lui répond le policier.
Me Alimi fait de ce procès un cas emblématique du « grave problème » des violences policières en France : « Il y a un dysfonctionnement structurel dans notre système judiciaire : très souvent les fonctionnaires de police déposent plainte pour outrage et rébellion pour couvrir des bavures policières. »
SIGNEZ LA PÉTITION POUR EN FINIR AVEC LE DÉLIT D'OUTRAGE
La QPC a été mise en délibéré au 10 mars. La défense de Taha Bouhafs espère qu’elle sera transmise à la Cour de cassation, puis au Conseil constitutionnel. Si elle est rejetée par le tribunal correctionnel, le procès aura lieu dans la foulée.