mardi 1 septembre 2020

13 raisons pour en finir avec le délit d’outrage, la pétition

Le 30 décembre 2008, Libération accueillait l’appel POUR LA FIN DU DÉLIT D’OUTRAGE, signé par Romain Dunand, Jean-Jacques Reboux, Hervé Éon  Eunice Barber, Yves Baumgarten, M’hmed Bellouti, Jean-Paul Desbruères, Jean-Claude Lenoir, Simone Levavasseur, ValérieMartinez, Patrick Mohr, Isabelle Sylvestre, Serge Szmuzskowicz et Maria Vuillet, sous l’œil docte et  malicieux de Maurice Rajsfus, qui vient de nous quitter. Un an plus tard, le 15 février 2010, nous remettions à la Chancellerie, à l’Élysée et au ministère de l’Intérieur une pétition demandant l’abrogation des délits d’outrage et d’offense au chef de l’État. Accueillie sur le site de la LDH et signée par 26.000 personnes, la pétition restera lettre morte et le délit d’outrage continuera à prospérer sur le fumier de la répression d’État, sous les quinquennats Hollande et Macron. En juillet 2013, pourtant, à la suite de l’affaire Éon-Sarkozy, portée devant la Cour européenne des droits de l’Homme, la France abrogeait le délit d’offense au président de la République. Ne restait “plus” que le délit d’outrage…

Dix ans plus tard, nous revenons à la charge, et c’est tout naturellement vers Libération que nous nous sommes tournés pour publier le présent manifeste, qui comporte, non plus 10, mais 13 raison pour en finir avec le délit d’outrage. La pétition, hébergée sur Change.org, sera remise au président de la République, au Garde des Sceaux, au ministre de l’Intérieur et aux parlementaires au printemps 2021. Une conférence de presse sera organisée devant le ministère de la Justice, place Vendôme. Notre but est de porter l’abrogation du délit d’outrage à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale avant la fin du quinquennat Macron.

POUR SIGNER LA PÉTITION

LE MANIFESTE a été signé par Arié Alimi, avocat, Romain Dunandcondamné à 800 € d'amende dont 600 avec sursis pour outrage à Sarkozy, Hervé Eon (condamné à 30 € d’amende avec sursis pour offense au chef de l’État ; délit abrogé en 2013, suite à la saisine de la Cour européenne des droits de l’Homme), Stéphane Espic, Gilet jaune poursuivi pour outrage, Raphaël Kempf, avocat, Valérie Martinez, poursuivie pour outrage à préfet (relaxée), Maré Ndiaye, aide-soignante poursuivie pour outrage et rébellion, Emmanuel Pierrat, avocat, Philippe Rajsfus, Jean-Jacques Reboux (condamné à 150 € d’amende avec sursis pour outrage à agent), Xavier Sauvignet, avocat, Maria Vuilletpoursuivie pour outrage au sous-préfet d’Ile-de-France (relaxée en appel, à la suite d'un faux témoignage du chauffeur du sous-préfet).

Le délit d’outrage, qui consiste à porter atteinte à la dignité d’un représentant de l’autorité publique ou au respect dû à ses fonctions, est proche du délit d’injure, qui appartient au régime des infractions de presse, très protecteur de la liberté d’expression. Ce n’est pas le cas de l’outrage, passible de 7.500 € d’amende et de six mois de prison, alors que l’injure à un citoyen « ordinaire » ne « coûte » que 38 €. Cette ahurissante disproportion justifie à elle seule que ce délit obsolète, inique, soit chassé du code pénal, comme le furent jadis les délits de blasphème, d’outrage à la morale publique et religieuse, d’outrage aux bonnes mœurs, d’outrage par la voie du livre, et récemment les délits d’offense à chef d’État étranger (2004) et au chef de l’État (2013), tous deux déclarés contraires à la Convention européenne des droits de l’homme.

Pour les 13 raisons suivantes, nous demandons l’abrogation de l’article 433-5 du code pénal sanctionnant le délit d’outrage.

1. Parce qu’il y a dans la loi sur la presse de 1881 tout ce qu’il faut pour réparer l’outrage.

2. Parce que l’outrage empêche tout dialogue avec les forces de l’ordre et constitue une rupture d’égalité entre citoyens, en contradiction avec l’article 1 de la Constitution stipulant que « la République assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine ». L’agent verbalisateur étant à la fois juge et victime de l’infraction, devant un tribunal c’est parole contre parole, celle du fonctionnaire assermenté contre celle du citoyen lambda, et les magistrats font rarement preuve de l’impartialité que l’on est en droit d’attendre d’eux.

3. Parce que l’outrage est utilisé par les forces de l’ordre comme un instrument de représailles pour couvrir des violences de plus en plus insupportables, allant jusqu’à l’homicide, des abus d’autorité, des gardes à vue arbitraires, qui font de chaque citoyen un coupable potentiel, quelles que soient ses origines sociales, avec un facteur aggravant lorsque les personnes contrôlées sont stigmatisées en raison de leur couleur de peau, de leurs origines ethniques, de leur sexe ou de leur orientation sexuelle.

4. Parce que son existence libère la violence des forces de l’ordre et constitue une arme intolérable entre les mains de policiers qui érigent en doctrine la provocation et le mensonge, comme on a pu le constater lorsque les policiers responsables de la mort de Cédric Chouviat, pour se dédouaner d’un homicide, invoquèrent le fait que leur victime les aurait outragés.

5. Parce qu’au délit d’outrage s’ajoute fréquemment le délit de rébellion, consistant à opposer une résistance à un agent de la force publique, utilisé avec le même arbitraire et la même absence de preuves par les forces de l’ordre pour transformer les victimes de leurs violences en coupables.

6. Parce que l’outrage est utilisé à des fins mercantiles par des policiers qui arrondissent leurs fins de mois en se portant partie civile, leurs frais de justice étant intégralement pris en charge par la République.

En 2013, l’Inspection générale de l’administration évaluait à 1.000 € le coût pour l'administration de chaque plainte pour outrage.

7. Parce que l’outrage est utilisé pour faire grimper le taux d’élucidation des infractions, 6 signalements sur 10 donnant lieu à une condamnation.

Entre 2016 et 2019, le nombre de condamnations pour outrage ou rébellion a progressé de 21%, de près de 12.000 à 14.500, quand il s’agit de la seule infraction. En comptant les cas où l’infraction est couplée avec un autre délit (rébellion), le nombre de condamnations est passé de 25.000 en 2016 à près de 28.000 en 2019 (+12%).

8. Parce que l’outrage est utilisé par le pouvoir comme une arme de répression massive des luttes sociales syndicales,particulière-ment lors des manifestations contre la loi El Khomeri et la réforme des retraites. Ces abus ont pris des proportions alarmantes avec la répression brutale du mouvement des Gilets jaunes, dont plusieurs milliers ont été traînés devant les tribunaux et 800 emprisonnés, pour des motifs souvent aberrants, et la criminalisation de journalistes (Gaspard Glanz, Taha Bouhafs) et d’observateurs indépendants (LDH) couvrant les manifestations ont été poursuivis pour outrage.
Un cap a été franchi avec la gestion ultra-répressive de la crise du coronavirus et du confinement, comme on le voit avec les procès pour outrage et rébellion intentés à l’aide-soignante Maré Ndiaye (Mulhouse) et l’infirmière Farida Chikh (Paris).

9. Parce ce que ce détournement du code pénal fait de l’outrage un délit d’exception évoquant davantage un État policier qu’une démocratie, qui n’a plus sa place dans une France qui a oublié qu’elle était la patrie « des droits de l’Homme », et bafoue sans vergogne l'article 431-1 du Code pénal réprimant l’entrave à la liberté d’expression, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, lequel stipule : 
« Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit. »

10. Parce que des magistrats n’hésitent plus à poursuivre des citoyens en violation flagrante de l’article 433-5 du code pénal, stipulant que l’outrage réprime des paroles ou des gestes non publics, par exemple lors des poursuites ubuesques contre les poseurs de banderoles MACRONAVIRUS.

L’actuel Garde des Sceaux Dupond-Moretti l’avait fort justement exprimé lorsqu’il obtint en 2014 la relaxe du député Henri Guaino, poursuivi pour outrage par un magistrat (pour des griefs relevant de l’injure publique et de la diffamation), son client étant condamné après appel du parquet, avis annulé par la cour de cassation.

11. Parce qu’à l’heure où des millions de Français, ne supportant plus de vivre dans la peur de cette police-là, demandent vérité et justice pour la mort de tous les Rémi Fraisse, les Lamine Dieng, les Adama Traoré, les Cédric Chouviat exécutés, asphyxiés par les forces de l’ordre, la dépénalisation de l’outrage permettrait de poser les bases d’une désescalade des violences policières, ce cancer de la société française, dans un pays où l’institution censée sanctionner les policiers au comportement délictueux ou criminel (IGPN) est juge et partie, faisant d’eux des citoyens au-dessus des lois, avec la complicité d’une justice davantage au service du pouvoir qu’au service des citoyens et de la République.

12. Parce que, loin d’aller dans le sens des mesures d’apaisement préconisées par le défenseur des droits Toubon dans son rapport de juillet 2020, le pouvoir, cédant aux menaces des syndicats de policiers d’extrême droite, met en place de nouveaux dispositifs répressifs qui ne feront qu’aggraver la spirale répressive d’une police en roue libre, bafouant son propre Code de déontologie et dont les excès sont couverts par leur hiérarchie, dans un pays où la doctrine du maintien de l’ordre a laissé place à une inquiétante militarisation de la répression, qui vaut à la France d’être interpellée par des ONG (Acat, Amnesty International) et par l’ONU.

En projet, Police victime, application de signalement rapide des outrages et des « violences subies par les policiers » au ministère de l’Intérieur, en relation avec les services juridiques.

13. Parce que le délit d’outrage, exception française avec ses relents nauséabonds d’Ancien Régime, n’a rien à faire dans une République et n’existe pas chez la plupart de nos voisins européens, ni aux États-Unis, ni dans la plupart des ex-dictatures d’Amérique latine.

Pour toutes ces raisons, juridiques, déontologiques, philosophi-ques, nous demandons la dépénalisation du délit d’outrage et l’abrogation de l’article 433-5 du code pénal.

IL Y A URGENCE  !

POUR SIGNER LA PÉTITION

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