lundi 22 juin 2020

« J’étouffe ! » Les derniers mots de Cédric Chouviat, étouffé par 4 policiers le 3 janvier 2020.

Le texte ci-dessous reprend un article de Nicolas Chapuis dans le journal Le Monde.
Cédric Chouviat. L’épouse de Cédric et son père.

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« J’étouffe ! » Le cri d’agonie est répété sept fois. Ce sont les derniers mots prononcés par Cédric Chouviat, le 3 janvier 2020, lors de son interpellation par la police quai Branly, au bord de la Seine, à Paris. Le Monde et Mediapart ont eu accès aux enregistrements du téléphone de ce livreur, père de famille, mort à la suite d’un contrôle routier qui a dégénéré. Sur les bandes vidéos, on entend clairement l’échange entre cet homme de 42 ans et les quatre fonctionnaires à l’origine de son arrestation et de son décès. Ces derniers ont été placés en garde à vue, mercredi 17 juin, et auditionnés par l’Inspection générale de la police nationale. Une information judiciaire est ouverte pour « homicide involontaire ».
Filmée de loin par des passants, la scène gardait jusque-là une part de mystère. Mais les enquêteurs ont eu accès aux neuf vidéos tournées par Cédric Chouviat lui-même et aux trois autres prises par l’une des policières impliquées dans l’arrestation. Ces douze minutes d’échanges permettent de mieux comprendre les circonstances dans lesquelles les fonctionnaires ont décidé de procéder à l’interpellation. L’homme avait été plaqué au sol sur le ventre ; d’après un témoin présent sur les lieux, une clé d’étranglement avait été réalisée. Victime d’une fracture du larynx, il avait été transporté à l’hôpital dans le coma. Il est mort deux jours plus tard.
Quand les vidéos débutent, le contrôle routier est déjà en cours. Les raisons pour lesquelles cet homme, livreur en scooter, a été arrêté sur le bord de la route, demeurent floues. Quelques jours après le drame, Thibault de Montbrial, l’avocat des quatre policiers, avait assuré que Cédric Chouviat avait son téléphone en main et que sa plaque d’immatriculation était sale. L’homme disposait pourtant d’un kit main libre actif. Sur l’ensemble des vidéos, les enquêteurs de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale, qui procèdent à l’exploitation des fichiers, pensent reconnaître, sans certitude toutefois, un enregistrement sonore via le micro de son casque.
Dans leur rapport d’expertise, les militaires analysent le ton de la conversation. Ils notent d’emblée que « l’échange est relativement correct, même si nous pouvons ressentir une forme de “provocation” ou de “défiance” dans les paroles de la personne contrôlée ». Cédric Chouviat s’adresse ainsi aux policiers : « Je suis très correct, voilà, comme ça vous kiffez mettre des amendes aux gens, c’est votre travail. » A plusieurs reprises, il les traite de « clowns », ou de « guignols ». « Allez les provinciaux, mettez toutes les amendes que vous voulez, vous kiffez faire ça », dit-il, avant d’ajouter : « Franchement, vous avez vu vos têtes. » En retour, un policier se moque de lui, un autre brandit la menace de l’interpellation pour outrage.


A trois reprises, le contrôle semble prendre fin, mais à chaque fois, un échange verbal le relance. Un policier demande par exemple en partant à Cédric Chouviat de nettoyer sa plaque. Ce dernier rétorque en demandant un « s’il vous plaît ». « Ouais et alors vous croyez que je vais me mettre à quatre pattes je vais vous sucer la bite aussi », répond le fonctionnaire. On entend ensuite des bruits qui correspondent à un contact physique. Cédric Chouviat demande aux fonctionnaires de ne pas le pousser.
Peu à peu, la situation s’envenime. Cédric Chouviat lance aux fonctionnaires : « Hé mais sans votre uniforme (…) vous imaginez sans votre uniforme dans la rue vous êtes rien du tout (…) Est-ce que vous croyez vraiment que j’ai peur de vous (…) Vous croyez vraiment que j’ai peur de vous mais un mec comme… qui me casse la tête je lui arrache la tête dans la rue. » Aux policiers qui demande s’il s’agit de menaces, il répond : « Mais nan, y a aucune menace si vous avez pas votre truc vous faites rien du tout rien, mais regardez votre tête. »
Au bout de 9 minutes et 44 secondes, un fonctionnaire croit avoir entendu « fils de pute » de la part de l’homme. Sur la bande sonore, aucune insulte de cette sorte n’est cependant identifiable. On entend en revanche Cédric Chouviat qualifier l’agent de « pauvre type » à huit reprises. A de multiples reprises au cours de l’échange, l’homme demande aux fonctionnaires de ne pas le toucher. En retour, ceux-ci l’invitent à ne pas se rappocher d’eux. A dix minutes et trente secondes, Cédric Chouviat hurle à nouveau aux policiers de ne pas le pousser et indique qu’il va porter plainte. Les fonctionnaires l’invitent à le faire.
Un dernier « guignol », lâché à 11 minutes et 16 secondes semble précipiter le drame. « On ramène », lâche un policier. Des bruits de frottement se font entendre, ainsi que le claquement des menottes. « C’est bon, c’est bon, bracelets 0K », dit un agent. Mais dans le même temps, Cédric Chouviat hurle ses dernières paroles. « Arrête », puis « je m’arrête », et enfin ce cri, répété sept fois : « J’étouffe ! » Quelques secondes plus tard, l’homme ne respire plus. Les secours sont alors appelés. Mais en vain.

Pour les trois avocats de la famille Chouviat, l’issue fatale de ce qui n’est à l’origine qu’un banal contrôle routier doit alerter l’opinion publique. « Cette tragédie est la signature, pour qui peut en douter, du fait que l’emballement répressif en France est un facteur de déshumanisation y compris et malheureusement pour ceux qui devraient inspirer confiance et sécurité aux citoyens français : les derniers mots de Cédric font de son cri d’agonie, un cri universel », estime Me William Bourdon et Me Vincent Brengarth. Pour Me Arié Alimi, ce drame interroge les méthodes policières : « Chaque fonctionnaire et le ministère de l’intérieur ont désormais la connaissance que les techniques d’étranglement et de plaquage ventral peuvent tuer n’importe qui à n’importe quel moment. Toute utilisation de ces techniques sera désormais constitutive de meurtre. »
Cinq mois après ce drame et une semaine avant le placement en garde à vue des quatre policiers, Christophe Castaner, avait tenu une conférence de presse pour répondre aux manifestations contre les violences policières et le racisme. Un mouvement né aux Etats-Unis, après la mort de George Floyd, cet homme asphyxié sous le genou d’un policier, et qui a trouvé en France un fort écho. Lors de son intervention le ministre de l’intérieur avait fait référence à l’affaire Chouviat et avait annoncé la fin de l’enseignement de la « clé d’étranglement » aux forces de l’ordre. Une semaine plus tard, le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, annonçait que dans l’attente d’une méthode de substitution, elle pourrait continuer à être utilisée, quand « les circonstances l’exigent », avec « mesure et discernement ».

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