lundi 29 juin 2020

Maurice Rajsfus (1928-2020), la mémoire en tête

Maurice Rajsfus vient de nous quitter à l’âge de 92 ans. Il fut, dès le départ, l’un des plus ardents militants de la dépénalisation du délit d’outrage et de la création du CODEDO, en 2008. En préambule à cet hommage, voici le texte que Michelle et Marc, ses enfants, envoyèrent à ses amis, en guise de faire-part.
Jean-Jacques Reboux


Je suis bien incapable de me souvenir de ma première rencontre avec Maurice Rajsfus, si souvent croisé dans les salons du livre et ailleurs. Ce dont je me souviens, c’est que notre amitié prit corps autour de trois objets : un livre, un coup de matraque, un procès pour outrage.
Fin 2005, Maurice me parle d’un sien manuscrit, que son éditeur Pierre Drachline n’a pas souhaité publier. Portrait physique et mental du policier ordinaire, dédicacé à l’Homme de Néanderthal, est précédé d’un exergue plus récente : « Les hommes sont naturellement mauvais. Il en est qui font le mal parce qu’on les a payés pour le faire : on les flétrit justement. Mais un plus grand salaire reçu, pour un plus grand méfait, les dispose à mieux s’accommoder de ce mépris. » Ainsi parlait Euripide, vingt-cinq siècles avant Philippe Pétain, Pierre Pucheu, René Bousquet, Sarkozy, Castaner, Claude d’Harcourt et Didier Lallement.
Ma première réaction fut de savourer l’indispensable mauvais esprit de ce saisissant « portrait de groupe en uniforme », qui complétait la somme d’ouvrages déjà écrits par l’auteur sur le sujet épineux et obsédant de la flicaille. Le fait de considérer le policier comme une entité aussi monolithique sur le plan physique n’était pas l’argument le plus décisif, d’un point de vue moral, la chose était entendue, la fonction créant l’organe et le port de l’uniforme induisant quasi « mécaniquement » un comportement caricatural, fait d’arrogance, de sexisme, de domination des citoyens, et de brutalité. Une brutalité de plus en plus décomplexée, à mesure que les syndicats d’extrême droite imposent leur loi au pouvoir dont ils sont le dernier rempart, comme le démontrent les dernières manifestations nocturnes des flics qui s’applaudissent en jetant leurs menottes et en chantant La Marseillaise, que Maurice n’aura pas vues, quand ils ne jettent pas leur matraque pour protester contre la condamnation (avec sursis) d’un des leurs, accusé d’avoir massacré une dame Gilet jaune.
Ma maison d’édition (Après la Lune) venant tout juste de démarrer, et ne publiant que des fictions, je gardai ce livre sous le coude, en attendant… des jours meilleurs. Lesquels se manifestèrent une après-midi de juillet 2006, sous la forme d’une collision frontale avec un quarteron de fonctionnaires de police, me décidant à faire faux bond à la fiction et à publier ce livre. Et prendre mon téléphone pour prévenir Maurice de mes déboires : premier outrage, première garde à vue. Et la rage de ne pas se laisser marcher sur les pieds par un petit merdeux de flic et un grand sec, beaucoup plus inquiétant.
   « Que s’est-il passé ? » me demanda-t-il.
   « J’ai traité un flic de canard. Il a compris “connard”. »
Maurice, qui savait mieux que quiconque que la maréchaussée, tout comme elle est souvent mal embouchée et peu à cheval sur les civilités, n’a pas toujours les oreilles bien nettoyées, et pas forcément à cause du képi, éclata de rire et me crut sur parole – ce qui ne fut pas le cas du procureur le jour de mon procès.
  « Tu as échappé à la rébellion, ajouta-t-il. Et vu comment tu t’es débattu en interpellant les foules, le délit d’incitation à l’émeute n’était pas loin… »


Contrôle routier banal, contestation d’un délit bidon, tentative de  raisonner un agent, dérapage sémantique, menottes aux poignets, interpellation, cerflex aux chevilles, coup de matraque dispensé par un flic en moto arrivé en renfort, une brute au nom prédestiné de Segrétinat [rire de Maurice], accompagné d’un « T’as de la chance qu’il [Sarkozy] soit pas président ! », embarquement par une dizaine de flics, garde à vue, procès pour outrage, plainte contre deux flics, confrontation à l’IGS avec l’affreux Segrétinat, etc. Tout cela sous l’œil malicieux de Maurice, dont cette histoire scella en quelque sorte une amitié indéfectible.
C’était l’époque où Sarkozy, ministre de l’Intérieur pratiquant le coup de menton dans l’espoir de se grandir (le tropisme fondateur de cet individu), morigénait commissaires et préfets, alternant carotte et bâton, sa Bulle de Beauvau (De la politique du chiffre) à la main. La suite a été racontée dans un pamphlet, Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy, ministre des Libertés policières, dont Maurice fut l’un des tout premiers lecteurs et le conseiller éditorial. Ainsi lorsque je me demandais si je pouvais décemment écrire que ledit Segrétinat me faisait penser à ces policiers criant en 1984 « Mort au Juif ! » sous les fenêtres de Badiner, sa réponse tomba : « Tu peux. » Si Maurice était toujours parmi nous, et si nous avions pu casser la croûte après le confinement, comme nous nous l’étions promis, le jour de ses 92 ans, je l’imagine assez me dire : « Ton Segrétinat, il doit manifester devant la Maison de la Radio ou le Bataclan, en applaudissant ses congénères furieux de ne plus pouvoir enchaîner les clefs d’étranglement comme on leur a appris à l’école de police. »
  L’élection de Sarkozy à l’Élysée n’arrangea pas la névralgie flicophobe de Maurice. Sitôt élu, le petit homme inculte s’enferra dans une vision obsessionnelle, simpliste, néo-colonialiste de l’Histoire, qui le conduisit à créer un ministère de l’Identité nationale, s’arc-boutant sur les envolées de sa (très bavarde) plume Henri Guaino (le fameux discours de Dakar sur « l’homme africain qui n’est pas entré dans l’Histoire »), du raciste Hortefeux, de l’inquiétant Guéant, du putride Besson et de tous les autres, que les années Hollande-Macron et leur cortège de violences policières érigées en système ne sauraient faire oublier. Toutes choses qui ne pouvaient qu’ulcérer Maurice. À commencer par la récupération de la lettre de Guy Môquet, dont la lecture imposée aux professeurs avorta, suite à des manifestations qui conduisirent au procès de Maria Vuillet (comme on le verra plus loin), procès que l’on peut considérer comme le première utilisation du délit d’outrage du quinquennat Sarkozy dans un procès politique, annonciateur de nombreux autres, à l'instigation de préfets ne supportant pas que l’on comparât la répression des sans-papiers  aux pratiques de leurs ancêtres pétainistes. La palme, en la matière, revenant à Philippe Rey, préfet des Pyrénées-Atlantiques, dont on trouvera ici la liste des mots qu’il ne fallait pas lui dire, sous peine de poursuites.

Maurice, qui avait mis un terme (avril 2014) à l’aventure de Que fait la police ? (démarrée le 6 avril 1994, un an jour pour jour après l’assassinat de Makomé M’Bowolé (17 ans), tué d’une balle à bout touchant au commissariat des Grandes Carrières, Paris 18e),  épanchait sa colère sur Rue 89 (où Chloé Leprince fit beaucoup pour la connaissance du délit d’outrage), telle cette tribune de mai 2008 intitulée Shoah : pour la police aussi, il faut un devoir de mémoire, publiée en réaction à l’une des décisions les plus indignes, sottes et monstrueuses de Sarkozy : confier à chaque élève de CM2 la mémoire d'un enfant français victime de la Shoah. Et voilà comment j’eus le plaisir d’initier un Maurice totalement imperméable à l’informatique, sinon aux voies impénétrables du Web, du moins à la toute puissante célérité d’Internet, lorsqu’il venait chez moi, d’un saut de RER, me dicter ses tribunes, autour d’un verre de thé. Sitôt appuyé sur la touche envoi : « À peine envoyé, c’est déjà arrivé ! C’est formidable, quand même ! » s’exclamait-il, en retournant à ses coupures de journaux.
À l’époque, à part un papier paru dans Libération en 2003, l’outrage n’était guère médiatisé (la chose tenant, sans doute, au fait que chaque poursuite pour outrage tombe sur la tête d’un individu isolé, ignorant jusqu’à l’existence de ce délit inique, où la victime est sanctionnée deux fois : par les flics, puis par la justice). C’est donc le procès de Maria Vuillet qui mit le feu aux poudres. Poursuivie par un sous-préfet de bas étage, le bien nommé Frédéric Lacaverelaxée et jugée deux fois en appel (fait rarissime), brillamment défendue par Thierry Levy, c'est avec elle et quelques « outrageurs » (Romain Dunand, Hervé Eon, poursuivi pour offense au chef de l’État – délit chassé du code pénal en juillet 2013 grâce à son combat acharné et sur injonction de la CEDH) que nous créâmes le CODEDO (Collectif pour une dépénalisation du délit d’outrage).
Lorsque nous publiâmes (Libération, 30 décembre 2008) l’appel Pour la fin du délit d’outrage, Maurice fut, en quelque sorte, notre caution moraleIdem lorsque nous entreprîmes, Romain Dunand (outrageur poursuivi par Sarkozy époque Beauvau) et moi, de rédiger une Lettre au Garde des Sceaux pour une dépénalisation du délit d’outrage, ouvrage qui sera expédié à sept Gardes des Sceaux consécutifs, sans qu’aucun/e ne prît la peine de nous en accuser réception. Maurice était toujours là : conscience, oreille et œil bienveillants.
Puis parut Portrait physique et mental du policier ordinaire, articulé en cinq chapitres : la morphologie du policier ; la brutalité ordinaire ; la personnalité du policier ; la représentation du policier ; un avenir bleu marine, avec une incise sur le gardien de la paix Mulot, voisin de palier venu arrêter la famille de Maurice en ce sinistre 17 juillet 1942. Ce livre, qui fait œuvre d’anthropologie, Maurice y tenait beaucoup, tout comme L’Intelligence du barbare, publié aux éditions du Monde libertaire. Il en sera encore plus fier, avec cette somptueuse couverture de Tignous. Maurice avait pensé à Faujour et à Siné. Ce fut finalement Tignous qui s’y colla. « Je lui ai donné ma collection complète de Charlie Hebdo, il nous fera un dessin aux petits oignons, et ça ne te coûtera pas un rond ! » Sur la lancée, Tignous fit un peu de rabiot, en suivant un autre procès que j’eus, cette fois contre l’Opus Dei, ce qui me valut les félicitations du camarade Rajsfus, mais c’est une autre histoire…

Saluer la mémoire de Maurice Rajsfus, c’est aussi saluer l’incroyable mémoire dont il bénéficiait. Une mémoire infaillible, à la limite de l’hypermnésie, qui donnait force et précision à son argumentation. Mémoire des dates, des mots, des petites phrases, des détails qui n’en sont pas vraiment (ainsi relevait-il dans le film La rafle, de Rose Bosch, au-delà des dissonances soulignées par le critique du Monde, quelques erreurs notables, concernant, par exemple, le camp de Beaune-la-Rolande). Sans doute parce qu’entretenir sa mémoire était aussi, et avant tout, pour lui, entretenir la braise destinée à empêcher que s’éteigne le feu maintenant la mémoire de ses parents assassinés, et celle de toutes les victimes. Victimes de la police, hier et aujourd’hui, victimes de la Shoah, telle l’amie Liliane Lelaidier-Marton, dont les parents, juifs d’origine hongroise, furent assassinés à Auschwtiz, et que je lui présentai un beau dimanche de 2009 (si ma mémoire est bonne), en compagnie de sa femme Marie-Jeanne, disparue en 2018, et qui l’accompagnait toujours dans les salons du livre. Liliane dont Maurice me demandait, quand je l’avais au téléphone : « Et comment va notre amie de la tribu ? »
En parlant de « tribu », une anecdote. Alors que nous arpentions les allées du salon du livre (en 2004, je crois) et approchions de je-ne-sais-plus quel stand, Maurice se tourna vers moi, l’air enjoué : « Viens, je vais te présenter mon fils ! » Stupeur de Maurice lorsque je lui avouai que je connaissais bien son fils Marc, avec qui je travaillais, à l’époque, sur un projet de collection de polar qui ne vit jamais le jour, chez un éditeur qui mit la clef sous la porte. Marc dont j’ignorais, bien évidemment, qu’il était le fils de son père… « Ah ben, merde, alors ! Vous vous connaissez ! »


Ses enfants nous l’ont dit, Maurice a quitté cette monde en étant informé des bouleversements majeurs qu’ont été les manifestations organisées par le Comité Justice pour Adama, dans le sillage des protestations mondiales contre le meurtre de George Floyd aux États-Unis. Celle du 2 juin devant le palais de justice de Paris, réunissant plus de 80.000 personnes, véritable camouflet pour le pouvoir et l’infâme préfet Lallement. Celle du 13 juin place de la République, pendant laquelle, ironie du sort, Maurice nous a quittés.
Ce « rapport de force inversé », pour reprendre l’expression d’Assa Traoré, qui se bat depuis quatre ans pour que la vérité soit faite sur le meurtre de son frère, et sur les violences subies par les personnes « colorées », pour reprendre une expression délicieusement désuète dont Maurice avait le secret. Mais aussi toutes les autres victimes d’une police en roue libre, gangrénée par des éléments d'extrême droite : Gilets jaunes, manifestants, simples passants, dans un pays où les flics tapent sur à peu près tout ce qui bouge, en toute impunité… Tel Cédric Chouviat, ce livreur en scooter massacré le 3 janvier 2020 par quatre policiers, et dont la famille se bat pour qu’éclate la vérité sur ce qu’il convient d’appeler un homicide volontaire.
Maurice Rasjfus l’éclaireur nous a quittés à ce moment charnière, alors que d’autres ont repris le flambeau, tel David Dufresne, qui signale les violences policières sur le fil Allô Place Beauvau et travaille à la réalisation d’un documentaire sur l’un des sujets qui occupa toute la vie de Maurice, dont la sortie est prévue pour octobre 2020 : Un pays qui se tient sage.
Samedi 4 juillet (16h-22h), un hommage sera rendu à Maurice à la Parole errante, à Montreuil.
ECOUTER : Maurice Rajsfus, la rafle du Vél’ d’hiv’ (22 avril 1997, archive INA)
La vie de Maurice est résumée dans le Maitron, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier.

mardi 23 juin 2020

25 août, procès de Diatou, enceinte de 7 mois, violemment interpellée par des agents de la Sûreté ferroviaire à Aulnay-sous-Bois, pour outrage et violences volontaires

Le 16 juin, Diatou, 23 ans, enceinte de 7 mois, était violemment interpellée à la gare RER d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) par des agents de la sûreté ferroviaire. Son compagnon, qui signale aux agents qu'elle est enceinte, est tenu à l'écart. Dans la vidéo, Diatou, plaquée au sol sous les deux hommes, se fait écraser le visage par le pied de l’un d’entre eux. La SNCF prétend qu’elle ne portait pas de masque, ce qui est faux, comme le prouve la vidéo. Les agents de la SUGE prétendront également qu’elle les aurait mordus et griffés. Diatou admet qu’elle a mordu un des agents, qui l’avait violemment saisie par le bras, “pour se défendre”, dénonçant des gestes totalement disproportionnés de la part des agents.
L’interpellation de Diatou filmée par un voyageur
Transférée à l’hôpital, à sa demande, pour des examens complémentaires, Diatou sera mise en garde à vue à sa sortie, pendant 7 h. Elle sera jugée le 25 août pour outrage et violences volontaires sur agents dépositaires de l’ordre public. Elle a déposé une plainte contre les trois agents. Son compagnon, remis aux forces de l’ordre pour outrage et violences, devrait être présenté au parquet pour rébellion. Il aurait reçu une OQTF (obligation de quitter le territoire français).
Le témoignage de Diatou, recueilli par Taha Bouhafs

lundi 22 juin 2020

« J’étouffe ! » Les derniers mots de Cédric Chouviat, étouffé par 4 policiers le 3 janvier 2020.

Le texte ci-dessous reprend un article de Nicolas Chapuis dans le journal Le Monde.
Cédric Chouviat. L’épouse de Cédric et son père.

LIRE : Cédric Chouviat, 42 ans, tué par trois flics : quand la police invente un délit d’outrage pour justifier la mort d’un homme

LIRE : L’épouse de Cédric Chouviat dénonce les mensonges des policiers

LIRE : Les propos répugnants de Thibault de Montbrial, l’avocat (rétribué par la République) des assassins de Cédric Chouviat

« J’étouffe ! » Le cri d’agonie est répété sept fois. Ce sont les derniers mots prononcés par Cédric Chouviat, le 3 janvier 2020, lors de son interpellation par la police quai Branly, au bord de la Seine, à Paris. Le Monde et Mediapart ont eu accès aux enregistrements du téléphone de ce livreur, père de famille, mort à la suite d’un contrôle routier qui a dégénéré. Sur les bandes vidéos, on entend clairement l’échange entre cet homme de 42 ans et les quatre fonctionnaires à l’origine de son arrestation et de son décès. Ces derniers ont été placés en garde à vue, mercredi 17 juin, et auditionnés par l’Inspection générale de la police nationale. Une information judiciaire est ouverte pour « homicide involontaire ».
Filmée de loin par des passants, la scène gardait jusque-là une part de mystère. Mais les enquêteurs ont eu accès aux neuf vidéos tournées par Cédric Chouviat lui-même et aux trois autres prises par l’une des policières impliquées dans l’arrestation. Ces douze minutes d’échanges permettent de mieux comprendre les circonstances dans lesquelles les fonctionnaires ont décidé de procéder à l’interpellation. L’homme avait été plaqué au sol sur le ventre ; d’après un témoin présent sur les lieux, une clé d’étranglement avait été réalisée. Victime d’une fracture du larynx, il avait été transporté à l’hôpital dans le coma. Il est mort deux jours plus tard.
Quand les vidéos débutent, le contrôle routier est déjà en cours. Les raisons pour lesquelles cet homme, livreur en scooter, a été arrêté sur le bord de la route, demeurent floues. Quelques jours après le drame, Thibault de Montbrial, l’avocat des quatre policiers, avait assuré que Cédric Chouviat avait son téléphone en main et que sa plaque d’immatriculation était sale. L’homme disposait pourtant d’un kit main libre actif. Sur l’ensemble des vidéos, les enquêteurs de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale, qui procèdent à l’exploitation des fichiers, pensent reconnaître, sans certitude toutefois, un enregistrement sonore via le micro de son casque.
Dans leur rapport d’expertise, les militaires analysent le ton de la conversation. Ils notent d’emblée que « l’échange est relativement correct, même si nous pouvons ressentir une forme de “provocation” ou de “défiance” dans les paroles de la personne contrôlée ». Cédric Chouviat s’adresse ainsi aux policiers : « Je suis très correct, voilà, comme ça vous kiffez mettre des amendes aux gens, c’est votre travail. » A plusieurs reprises, il les traite de « clowns », ou de « guignols ». « Allez les provinciaux, mettez toutes les amendes que vous voulez, vous kiffez faire ça », dit-il, avant d’ajouter : « Franchement, vous avez vu vos têtes. » En retour, un policier se moque de lui, un autre brandit la menace de l’interpellation pour outrage.


A trois reprises, le contrôle semble prendre fin, mais à chaque fois, un échange verbal le relance. Un policier demande par exemple en partant à Cédric Chouviat de nettoyer sa plaque. Ce dernier rétorque en demandant un « s’il vous plaît ». « Ouais et alors vous croyez que je vais me mettre à quatre pattes je vais vous sucer la bite aussi », répond le fonctionnaire. On entend ensuite des bruits qui correspondent à un contact physique. Cédric Chouviat demande aux fonctionnaires de ne pas le pousser.
Peu à peu, la situation s’envenime. Cédric Chouviat lance aux fonctionnaires : « Hé mais sans votre uniforme (…) vous imaginez sans votre uniforme dans la rue vous êtes rien du tout (…) Est-ce que vous croyez vraiment que j’ai peur de vous (…) Vous croyez vraiment que j’ai peur de vous mais un mec comme… qui me casse la tête je lui arrache la tête dans la rue. » Aux policiers qui demande s’il s’agit de menaces, il répond : « Mais nan, y a aucune menace si vous avez pas votre truc vous faites rien du tout rien, mais regardez votre tête. »
Au bout de 9 minutes et 44 secondes, un fonctionnaire croit avoir entendu « fils de pute » de la part de l’homme. Sur la bande sonore, aucune insulte de cette sorte n’est cependant identifiable. On entend en revanche Cédric Chouviat qualifier l’agent de « pauvre type » à huit reprises. A de multiples reprises au cours de l’échange, l’homme demande aux fonctionnaires de ne pas le toucher. En retour, ceux-ci l’invitent à ne pas se rappocher d’eux. A dix minutes et trente secondes, Cédric Chouviat hurle à nouveau aux policiers de ne pas le pousser et indique qu’il va porter plainte. Les fonctionnaires l’invitent à le faire.
Un dernier « guignol », lâché à 11 minutes et 16 secondes semble précipiter le drame. « On ramène », lâche un policier. Des bruits de frottement se font entendre, ainsi que le claquement des menottes. « C’est bon, c’est bon, bracelets 0K », dit un agent. Mais dans le même temps, Cédric Chouviat hurle ses dernières paroles. « Arrête », puis « je m’arrête », et enfin ce cri, répété sept fois : « J’étouffe ! » Quelques secondes plus tard, l’homme ne respire plus. Les secours sont alors appelés. Mais en vain.

Pour les trois avocats de la famille Chouviat, l’issue fatale de ce qui n’est à l’origine qu’un banal contrôle routier doit alerter l’opinion publique. « Cette tragédie est la signature, pour qui peut en douter, du fait que l’emballement répressif en France est un facteur de déshumanisation y compris et malheureusement pour ceux qui devraient inspirer confiance et sécurité aux citoyens français : les derniers mots de Cédric font de son cri d’agonie, un cri universel », estime Me William Bourdon et Me Vincent Brengarth. Pour Me Arié Alimi, ce drame interroge les méthodes policières : « Chaque fonctionnaire et le ministère de l’intérieur ont désormais la connaissance que les techniques d’étranglement et de plaquage ventral peuvent tuer n’importe qui à n’importe quel moment. Toute utilisation de ces techniques sera désormais constitutive de meurtre. »
Cinq mois après ce drame et une semaine avant le placement en garde à vue des quatre policiers, Christophe Castaner, avait tenu une conférence de presse pour répondre aux manifestations contre les violences policières et le racisme. Un mouvement né aux Etats-Unis, après la mort de George Floyd, cet homme asphyxié sous le genou d’un policier, et qui a trouvé en France un fort écho. Lors de son intervention le ministre de l’intérieur avait fait référence à l’affaire Chouviat et avait annoncé la fin de l’enseignement de la « clé d’étranglement » aux forces de l’ordre. Une semaine plus tard, le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, annonçait que dans l’attente d’une méthode de substitution, elle pourrait continuer à être utilisée, quand « les circonstances l’exigent », avec « mesure et discernement ».

mercredi 17 juin 2020

Après Maré Ndiaye (Mulhouse), Farida Chikh, 52 ans, infirmière, violemment interpellée pour outrage et rébellion à Paris

16 juin 2020, manifestation des personnels soignants, près de l’esplanade des Invalides.
Farida Chikh, 52 ans, infirmière au CHU Paul-Brousse de Villejuif, a été violemment interpellée par les CRS. Frappée au visage, tirée par les cheveux par des CRS, tandis qu’elle crie
Farida (asthmatique) a été conduite en garde à vue au commissariat du 7e arrondissement, où elle a passé la nuit. Elle est accusée d’outrage, rébellion et violences volontaires sur personne dépositaire de l’ordre public (pour avoir jeté quelques misérables cailloux en direction des CRS).
Voici ce que déclarait hier (16 juin) sur Twitter la fille de cette infirmière :
La vidéo de l’interpellation de Farida, filmée par Rémi Buisine, est disponible sur  Brut. (Au cours de cette arrestation, on entend un flic dire à un autre : « Pas de violence, on est filmés. »)

Le journaliste Taha Bouhafs rapporte que selon son avocat, Me Brault, l’infirmière est « traumatisée par son arrestation physiquement et moralement. Elle a plusieurs plaies à la tête, des bosses et des bleus. Sa blouse est aussi tachée de sang ».

Le procès de Farida aura lieu le 25 septembre.


Farida interviewée par Taha Bouhafs (Là-bas si j’y suis)

Cette nouvelle affaire de violences policières sur des personnels soignants évoque ce qui est arrivé à Maré Ndiaye, aide-soignante interpellée pour outrage et rébellion lors de la visite de Macron à l’hôpital de campagne de Mulhouse, et dont le procès pour outrage et rébellion aura lieu le 4 septembre à Mulhouse.
(Nous en reparlerons très bientôt, à l’occasion de la mise en ligne d’une pétition pour l’abrogation du délit d’outrage.)

LIRE : 4 septembre. Procès pour outrage et rébellion de Maré Ndiaye, aide-soignante mise en garde à vue lors de la visite de Macron à l’hôpital de campagne de Mulhouse

mardi 9 juin 2020

Appel des familles contre l'impunité des violences policières, pour l’interdiction des techniques d’immobilisation mortelles et des armes de guerre en maintien de l’ordre


Cette initiative est lancée par le collectif Vies Volées, le comité Adama, la famille Dieng et le comité Vérité et Justice pour Lamine Dieng (Paris, 20e), la famille d'Abou Bakari Tandia (Courbevoie, 92), la famille de Tina Sebaa (Saint-Fons, 69), la famille de Baba Traoré (Joinville-le-Pont, 94), la famille d'Abdelhakim Ajimi (Grasse, 06), la famille de Mahamadou Marega (Colombes, 92), la famille de Mahamadou Marega (Ivry, 94), la famille de Youcef Mahdi (Melun, 77), la famille d’Angelo Garand et le collectif Justice pour Angelo (Blois, 41), Awa Gueye et le collectif Justice et Vérité pour Babacar Gueye (Rennes, 35), le comité Justice et Vérité pour Wissam El Yamni (Clermont-Ferrand, 63), le comité Vérité et Justice pour Gaye Camara (Champs-sur-Marne, 77), le collectif Selom et Matisse (Lille, 59), le comité Justice pour Ibrahima Bah (Villiers-le-Bel, 95), le comité Vérité pour Curtis (Massy, 91), le comité Vérité et Justice pour Morad Touat (Marseille, 13), le comité Justice pour Liu Shaoyao (Paris, 19e), le comité Vérité et Justice pour Ali Ziri (Argenteuil, 95), Haby Koumé sœur d’Amadou Koumé (Saint-Quentin, 02), les parents et la sœur de Rémi Fraisse, le collectif Vérité et Justice pour Mehdi (Vaux-en-Velin, 69), Florica Floarea et le comité Vérité et Justice pour Dorel (Vigneux-sur-Seine, 91), Salah Zaouiya et l’association Mémoire Jawad Zaouiya (Mantes-la-Jolie, 78), Justice pour Mehdi Bouhouta (Vaux-en-Velin, 69), la famille Touré et le comité Vérité et Justice pour Zakaria (Troyes, 10), Siaka Traoré, frère de Bouna (Clichy-sous-Bois, 93), Geneviève Legay (Nice, 06), Franck Lambin, père d'Allan (Saint-Hilaire-des-Landes, 35), Vérité et Justice 31 (31), Fatiha, mère d'Hocine et le comité Vérité et Justice pour Hocine Bouras (Colmar, 68), Milfet, fille de Zineb Redouane, la famille de Cédric Chouviat (Levallois-Perret, 92), Marie-Paule Chenevat, en hommage à Romain (91), Carenne Levy, femme de Philippe Ferrières (Drancy, 93), Fatima Zerroukhi, mère de Joail et le comité Justice et Vérité pour Joail (Vienne, 38), l'Assemblée des Blessés et les Mutilés pour l’exemple.

lundi 8 juin 2020

Le trombinoscope des 29 députés demandant l’interdiction de publier des photos des policiers dans les médias


En plein déconfinement, et alors que les 55 jours de confinement ont provoqué un déchaînement de violences policières et de vexations liées à l’obsession répressive du ministre de l’Intérieur, un groupe de 29 députés, emmenés par le député Eric Ciotti, vient de déposer (26 mai 2020) une scélérate proposition de loi visant à interdire la publication des photos des forces de l’ordre dans les médias. On rappellera qu’aucune loi n’interdit de photographier les policiers sur la voie publique. Vous trouverez ici le texte de cette proposition de loi, inspirée des proposition du syndicat d’extrême droite Alliance.


Découvrez le visage de ces courageux défenseurs de l’immunité policière. La plupart de ces individus disposent d’un site Internet, d’un compte Twitter ou d’une page Facebook (que vous pourrez consulter en cliquant sur leur patronyme).


À ces 29 députés, ajoutons (ci-contre) le (tout petit) sénateur Jean-Pierre Grand, auteur (3 décembre 2019) d’un amendement interdisant la publication, par quelque moyen que ce soit et dans tous supports, d’images de représentants des forces de l’ordre, et punissant le délit d’une amende de 15.000 euros.

La plupart de ces députés font partie du groupe LR (ex-UMP).
Éric CIOTTI (Alpes-Maritimes), Gérard CHERPION (Vosges), Geneviève LEVY (Var), Valérie BAZINMALGRAS (Aube)
Bernard REYNÈS (Bouches-du-Rhône), Bérengère POLETTI (Ardennes), JeanLouis MASSON (Var), Josiane CORNELOUP (Saône-et-Loire)
Marc LE FUR (Côtes d’Armor), Ian BOUCARD (Territoire de Belfort), JeanClaude BOUCHET (Vaucluse), Annie GENEVARD (Doubs), vice-présidente de l’Assemblée nationale, Valérie BOYER (Bouches-du-Rhône)
Emmanuelle ANTHOINE (Drôme), Raphaël SCHELLENBERGER (Haut-Rhin), Gérard MENUEL (Aube), Olivier DASSAULT (Oise) et feu son papa, Olivier MARLEIX (Eure-et-Loir)
Bernard PERRUT (Rhône), Thibault BAZIN (Meurthe-et-Moselle),  PierreHenri DUMONT (Nord), finaliste du prix de l’Humour des députés pour sa célèbre phrase “Pour bien accueillir, il faut bien expulser” (à propos des migrants), Michèle TABAROT (Alpes-Maritimes), Michel VIALAY (Yvelines),  Patrick HETZEL (Bas-Rhin)
JeanMarie SERMIER (Jura), Gilles LURTON (Ille-et-Vilaine), JeanPierre DOOR (Loiret), Didier QUENTIN (Charente-Maritime), devenu un adepte fervent de la lutte contre les sangliers depuis que l’une de ces bestioles faillit l’envoyer ad patres. Une mention particulière pour Julien AUBERT (Vaucluse), fondateur de Oser la France, adepte de l’interdiction totale du voile, et défenseur de l’ignominieuse chasse aux oiseaux à la glu, qu’il défend, au motif qu’il s’agit d’une tradition.

dimanche 7 juin 2020

4 septembre. Procès pour outrage et rébellion de Maré Ndiaye, aide-soignante mise en garde à vue lors de la visite de Macron à l’hôpital de campagne de Mulhouse


La morgue d’un président désincarné, déshumanisé. La lumière et l’humanité de celle qui sauve des vies : Maré Ndiaye.
Souvenez-vous. C’était le 25 mars 2020. Emmanuel Macron était à Mulhouse pour la grande opération de com’ autour d’un hôpital de campagne doté de trente lits. Les personnels soignants venus dire leur exaspération et leur mécontentement au président avaient été soigneusement tenus à l’écart derrière les grilles protégeant la marionnette masquée Macron et sa misérable opération de propagande.
Parmi eux, Maré Ndiaye, aide-soignante, un peu plus en colère que les autres, comme on peut le voir sur cette vidéo, qui s’arrête au moment où elle va être interpellée (en présence de manifestants étrangement passifs et peu solidaires).

Pour avoir crié sa colère et tenté d’interpeller Macron, cette aide-soignante de Reidisheim a été interpellée, frappée et mise en garde à vue par trois policiers, Jean-François Legrand-Desmery, Jessica Boulanger, Stéphanie Bauer, qui l’accusent de leur avoir dit : « vous êtes des chiens ».

Et comme nous sommes en France, pays où les victimes de violences policières sont systématiquement poursuivies par leurs bourreaux, elle est convoquée le 4 septembre 2020 à 8h 30 devant la chambre 120 du tribunal correctionnel de Mulhouse, pour répondre du délit d’outrage.
Elle est également poursuivie pour rébellion, accusée d’avoir, « seule et sans arme, opposé une résistance violente lors de son arrestation » aux mêmes fonctionnaires dépositaires de l’autorité publique Legrand-Desmery, Boulanger et Bauerce.


Dans cette seconde vidéo de vingt minutes, Maré Ndiaye dit sa souffrance, sa colère, son indignation, son incompréhension, avec une dignité et un infini respect. Le respect des gens qui soignent. À l’opposé de la brutalité de ceux qui cognent, dont on rappellera qu’on les appelle en argot les cognes. Et de leurs donneurs d’ordre politiques aux mains tachées de sang.


Quelques-uns des propos poignants [17’] de Maré Ndiaye.
Je respectais les hommes politiques, mais maintenant j'ai des doutes. On a l’impression qu’on n’est pas des humains. (…)
Ils m'ont plaqué par terre, ils m'ont mis des coups de pied sur le dos, dans la voiture des policiers, j’avais tellement mal au ventre que j’ai dit que j’étais enceinte pour qu’ils lèvent la pression. Je dis que c’est honteux de faire ça à une soignante.
Je ne vous dirai pas merci d’être venu à Mulhouse, monsieur Macron, parce que vous n’avez même pas écouté les soignants.
J’attire aussi l’attention de Mme Ndiaye, votre porte-parole, car elle ne doit pas être à l’aise. Ça doit être lourd de ne pas dire la vérité, de mentir tout le temps tout le temps. Je sais que vous ne devez pas être heureuse d’exercer vos fonctions, que ça ne doit pas être facile pour vous. Je tenais à vous faire partager ma souffrance. Ma souffrance, ils ne vont jamais vous la dire. Maintenant, je vous ai tout dit, j'espère que cette vidéo va être diffusée partout. Si j'ai souffert aujourd'hui, j'ai souffert au nom de tous les soignants.